J’ai été bouleversée de découvrir ce qu’a vécu Gisèle Pélicot. J’ai aussi une immense colère envers tous ces hommes qui ont abusé d’elle, à commencer par celui qui était son mari. Comment peut-on faire une chose pareil à sa femme ???
Carolina Costa a trouvé des mots d’une extraordinaire profondeur pour exprimer ce que je ressens, moi aussi. De plus, elle a mis les événements actuels en lien avec plusieurs récits bibliques. Oui, Jésus ne s’est pas tu face aux abus et maltraitances faites aux femmes de son temps. Aujourd’hui, c’est à nous de réagir aux barbaries de notre temps.
Cette parole de Jésus dans l’évangile de Luc, texte du jour de l’Eglise catholique romaine hier, a profondément fait écho en moi, dans un contexte inédit qui se déroule en France. Car rien n’est caché qui ne doive paraître au grand jour ; rien n’est secret qui ne doive être connu et venir au grand jour. (Luc 6, 17)
En effet, qui n’a pas entendu parler du procès des violeurs de Gisèle Pelicot ? Qui n’a pas été touché par la force incroyable de cette femme debout, faisant face visage à découvert, à tous ces hommes, qui eux se cachent et souvent même, se voilent la face.
Personne, après avoir allumé une lampe, ne la couvre d’un seau ou ne la met sous le lit ;
on la met sur le lampadaire pour que celles et ceux qui entrent voient la lumière. (Luc 6, 16) La lumière dont il est question ici est une lumière de vérité. Gisèle nous fait voir une vérité qui dérange, qui effraie aussi et qui semble difficile à assumer pour certains. Or, le véritable pouvoir de la lumière c’est d’éclairer les ténèbres pour les dévoiler bien sûr, mais aussi pour pouvoir ensuite les entourer de lumière.
Cette vérité c’est celle d’une société où il est possible que 83 individus (seuls 50 ont été identifiés à ce jour !) de tous âges (de 26 à 74 ans) ont pu violer une femme, droguée et endormie, en toute impunité pendant 10 ans ! Rien que d’écrire ce dernier paragraphe est déjà effrayant et tout autant à lire assurément.
A celles et ceux qui pensent encore que les femmes qui dénoncent ces violences, qui luttent pour la cause féministe sont des hystériques, Gisèle nous offre un visage ordinaire. Oui, la violence sexiste est bel et bien banale et ordinaire, ce procès nous le renvoie brut et sans filtre en plein visage. Gisèle a choisi de mettre sur un lampadaire la lumière de la vérité, pour que toutes celles et ceux qui entrent puissent la voir.
Ce procès est si inédit et retentissant que les médias du monde entier en parlent et j’ose espérer, offrent ainsi l’espoir que d’autres femmes puissent en être éclairées sur la planète. Puissance infinie de cette lumière de vérité. Rien n’est caché qui ne doive paraître au grand jour.
L’histoire humaine ne nous montre-t-elle pas ici de manière magistrale ici cet enseignement du Christ que oui, tout finit toujours par être dévoilé un jour ? Parole d’espérance qui me transperce l’âme. Je pense à toutes ces femmes qui n’osent pas mettre cette lumière sur le lampadaire parce que le prix à payer serait trop cher… Perdre son emploi, être mise de côté, calomniée, méprisée, perdre ses enfants, finir à la rue… Car c’est aussi une réalité à prendre en plein visage : la plupart du temps nos institutions ne sont pas encore à la hauteur du fléau des abus sexistes.
Est-ce que ce procès va ouvrir une nouvelle ère pour nous protéger enfin ? Nous sommes nombreuses et nombreux à l’espérer et à prier en ce sens. Et que pouvons-nous faire de plus ? Parler encore et encore, témoigner, écouter et recueillir ces paroles en vérité.
Nous, femmes, nous devons avoir des conversations dans nos familles avec nos hommes et nos garçons, pour qu’ils prennent vraiment conscience du problème. Car le procès de Gisèle révèle que ces hommes ce sont précisément nos maris, nos frères, nos cousins, nos amis, nos potes. Oui, c’est effrayant mais je ne vois pas d’autre chemin. Ils doivent entendre ce que c’est de vivre dans le corps d’une fille, d’une jeune femme puis d’une femme dans notre société. Ils doivent entendre qu’une petite fille (et un petit garçon aussi) qui ne veut pas faire de bisou pour dire bonjour ou au revoir en a parfaitement le droit ! Qu’un petit garçon qui touche le kiki d’une fille à la récréation ce n’est pas normal. Qu’un jeune qui pousse une ado à faire un nude (photo dénudé) ce n’est pas normal. Qu’un petit-ami qui force sa copine à avoir un rapport sexuel parce que lui en a envie, c’est déjà un viol.
La tragédie humaine c’est que toutes les femmes du monde ont au moins vécu une seule des situations décrites ci-dessus, et certaines parfois toutes. Vous pensez que j’exagère ? Voilà quelques années maintenant que je travaille sur ces questions de la violence sexuelle à l’encontre des femmes, d’autant plus que moi-même je fais partie des « survivantes ».
Chaque fois que nous avons organisé un cercle de parole sur ce thème, j’ai été effarée de constater le nombre si important de femmes qui ont subi des violences et à tous âges. Cela nous concerne toutes et tous. Et j’ai tellement peur pour mes propres filles, que je suis obligée, comme tant de Mamans, de les conscientiser tôt sur ce phénomène.
Comme croyante, je me demande aussi comment le Christ peut nous aider sur ce chemin ? Comme d’habitude : en l’écoutant et en le regardant lui, sur sa manière d’approcher, d’écouter et de guérir les femmes.
Avec Marie, sa mère, attaquée sur sa grossesse mystérieuse et qui serait morte sous les jets de pierres, si son fiancé Joseph ne l’avait pas protégée, grâce à l’intervention de l’ange de Dieu.
Avec Marie de Magdala, la « possédée » ou peut-être plutôt cette femme à la pensée libre, qui avait le désir de l’étude et que Jésus a choisie en premier, comme apôtresse des apôtres.
Avec Marthe, qui se croyait destinée uniquement aux tâches domestiques et que Jésus appelle à imiter Marie, en venant librement s’asseoir aux pieds du Maître et devenir disciple.
Avec la Samaritaine au Puits, passée dans le lit de cinq maris et un compagnon, que Jésus libère pour parler de sa propre voix et pour prêcher, reliée à la Source de vie.
Avec la femme souffrant de pertes de sang, considérée comme « impure », qui a vu tant de médecins, y a laissé tout son argent et dont Jésus se laisse toucher, émouvoir et la guérit.
Avec la fille de Jaïrus, chef de synagogue, père imposant qui semble ne pas laisser sa fille de 12 ans grandir, avoir ses règles et devenir une jeune femme libre et que le Christ remet debout (ressuscite).
Avec la femme adultère bien sûr, qu’il place au centre, au milieu de tous ces hommes de pouvoir et de morale pour qu’ils la regardent, avant de se regarder eux-mêmes au-dedans. N’êtes-vous pas coupables du plus vieux au plus jeune ?
Le Christ souffre toujours aux côtés des plus faibles et des plus vulnérables en leur donnant la parole, en les mettant au centre pour les rendre visible et en les guérissant. Il nous invite à ne pas détourner notre regard sur les violences, mais à nous laisser toucher dans notre cœur et notre propre chair.
Gisèle ressemble au Christ en croix, dans le sens où elle porte pour nous, toutes les violences sexistes avec une dignité incroyable et une force surhumaine, nous dirons par la grâce de Dieu.
Gisèle nous offre son visage, celui d’une femme ordinaire, le nôtre et sa lumière de vérité portée sur le lampadaire avec courage éclaire les obscurités de notre société.
Je suis Gisèle.
Avec elle, choisissons d’assumer ces obscurités, laissons-les être éclairées par la lumière de la justice pour nous conduire vers un potentiel chemin de guérison et de réconciliation. Car nous aurons besoin, après la reconnaissance du mal, de cheminer vers cette paix.
Je prie pour Gisèle, je prie pour nous, pour que le Christ guérisse nos blessures et nous conduise sur un chemin de conscience, guidés et éclairés par Sa lumière d’Amour qui seule pourra chasser nos obscurités et nous sauver.
Amen.
Lettre de Carolina Costa, le 24 septembre 2024
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