Recension: «L’Église et l’attirance homosexuelle: mythes et réalité»

11 mythes à réfuter

Malgré un ancrage typiquement évangélique, Ed Shaw ose des propos novateurs dans son milieux. Il relève en particulier que, « si l’enseignement de la Bible sur l’homosexualité semble (…) déraisonnable, c’est en raison d’un grand nombre de mythes acceptés par l’Église elle-même au cours des années, marquée qu’elle était par de nombreuses façons de voir que les évangéliques ont empruntées au monde qui les entoure. » Il invite donc à corriger nos mythes afin que les paroles de Jésus au sujet du sexe et des relations deviennent à nouveau pleinement crédibles et porteuses de vie en plénitude.

L'Eglise et l'attirance homosexuelle: mythes et réalité

Son objectif : lutter pour la crédibilité du message chrétien

Sa principale préoccupation n’est au fond pas de démystifier nos interprétations erronées de la Bible, mais de rendre l’Église à nouveau crédible. Ce sujet, il l’affirme, ne devrait pas concerner une petite minorité au sein de l’Église, en particulier de l’univers évangélique, il devrait tous nous occuper, non seulement pour le salut de quelques-uns, mais pour le bien de tous.

Son expérience personnelle

Pour cela, il n’hésite pas à faire part de son expérience personnelle : chrétien évangélique, devenu pasteur, il a vécu une attirance envers les personnes de même sexe depuis le début de la puberté. Alors qu’il espérait que cela soit juste une phase de son adolescence, malgré tous ses efforts et ses prières pour que les choses évoluent, alors qu’il approche de la quarantaine, il demeure attiré exclusivement par des hommes. Ce problème l’accompagne chaque jour de sa vie et ne se réduit pas à une simple écharde dans sa chair. Chaque jour de sa vie, il se surprend à être attiré instinctivement par tel ou tel bel homme ; pourtant, affirme-t-il, il n’a jamais couché avec aucun d’eux (p.23). Grâce à cette affirmation, son livre est accepté dans les milieux évangéliques et son approche avant-gardiste peut être accueillie plus facilement par ces milieux. Toutefois, il confesse que s’il n’a peut-être jamais eu de vraies relations sexuelles avec un homme, il s’est imaginé tout un tas de choses durant toutes ces années. Il avoue un énorme décalage entre ce qu’il croit intellectuellement et ce qu’il ressent et pense instinctivement, jour après jour.

Réduire l’identité au fait d’être gay

Tout comme moi, il dénonce la tendance à laisser réduire son identité au fait d’être gay. Il insiste donc sur la formulation « Je vis une attirance envers les personnes de même sexe », afin que sa seule identité soit d’être « enfant de Dieu ». Il dénonce l’erreur théologique commise par le mouvement évangélique qui a tendance à insister sur le péché et tout ce que nous avons fait de mal, plutôt que de relever tout ce que Dieu a fait pour nous justifier en Christ. Au lieu de nous humilier au stade de pécheurs rampant vers Dieu dans l’espoir de revenir dans ses bonnes grâces, il aimerait que les prédicateurs nous rappellent combien notre condition a changé à tout jamais dès le moment où nous avons donné notre cœur à Jésus, car nous vivons désormais chaque jour en sa présence.

Se laisser définir par le Dieu d’amour

Il est conscient que, bien trop souvent, les réunions à l’Église l’ont poussé à laisser son péché le définir, davantage que son Sauveur, et qu’il a quitté ces réunions en ayant davantage à l’esprit l’attirance pour les personnes de même sexe plutôt que sa nouvelle condition en Christ. Sans le savoir, on l’a encouragé à contempler son amour pour certains hommes plutôt que l’amour que Dieu avait pour lui (p. 35). Il aimerait que tous les chrétiens ne se voient pas d’abord comme gays ou hétéros, mais comme les enfants parfaits de Dieu (Éphésiens 1,4-5), frères et sœurs de Jésus, saints (Hébreux 2,11), ses héritiers (Galates 4,7), précieux et aimés de lui (Esaïe 43,4), créés à son image (Genèse 1,27). Il relit l’un de ces versets au début de chaque journée pour renforcer ce qu’il appelle son « estime de soi en Christ ».

Idolâtrie chrétienne du mariage

Un autre mythe qu’il dénonce est l’idolâtrie chrétienne du mariage : un papa, une maman et leurs 2,4 enfants. Si les personnes qui entrent dans cette catégorie ont de la facilité à s’intégrer dans l’Église, c’est beaucoup plus compliqué pour les célibataires, qui se retrouvent très seuls. Ed souhaiterait avoir des enfants, rentrer à la maison et savoir que quelqu’un l’y attend ; toutefois, à la fin d’une dure journée il regagne un logement vide, alors que les autres membres de l’Église vont retrouver une famille aimante. Il encourage donc les Églises à être attentives aux personnes seules et à faire des efforts pour les intégrer, afin de donner corps à la réalité familiale de l’Église.

Valoriser l’intimité lors de relations amicales

Il regrette que l’Église décourage souvent l’intimité non sexuelle. Il affirme que si nos Églises investissaient autant de temps et d’énergie dans la mise en valeur de bonnes amitiés que dans celle de bons mariages, la vie serait beaucoup plus facile pour les personnes comme lui et, de façon étonnante, pour toutes les autres également. On pense habituellement qu’on ne trouve la véritable intimité que dans le sexe ; or, Ed encourage à rechercher à vivre des amitiés intimes, car c’est ce qui rend la vie possible pour lui. Il s’insurge contre l’idée qu’il aurait à mener une vie sans intimité simplement parce qu’il ne peut pas avoir de relations sexuelles. Il donne ensuite des pistes pour créer une intimité appropriée.

Lorsque piété rime avec hétérosexualité

Ed Shaw dénonce également le fait que, dans les Églises évangéliques, piété rime avec hétérosexualité et que personne ne peut imaginer voir coexister piété et attirance pour les personnes de même sexe. Il parle même d’une paranoïa qui habiterait les parents face à l’identité sexuelle de leurs enfants. Cet auteur s’insurge contre les thérapies qui promettent un changement permanent de l’orientation sexuelle. Il relève en effet que, souvent les enfants (et parfois les parents) ont, par la suite, laissé tomber le christianisme évangélique suite à l’échec de ces tentatives. « Si être fidèle à Dieu, c’est être hétérosexuel, alors pourquoi vouloir être chrétien, si vous n’est pas hétérosexuel ? » (p. 98).

Chercher d’abord à être des chrétiens matures

S’il a pensé lui-même de la sorte par moments, il affirme avoir passé beaucoup de temps à prier et à chercher un antidote efficace à son attirance envers les hommes. Il a été encouragé par la parole d’un pasteur affirmant ceci : « Avant tout, nous voulons que nos enfants deviennent des chrétiens matures et fidèles. Or, certains des chrétiens les plus matures et les plus fidèles que nous connaissions sont attirés par les personnes de même sexe. Alors pourquoi devrions-nous avoir si peur que ce soit le cas pour nos enfants ? » (p. 99).

Menace sur la vie spirituelle des individu.e.s

« Le but de toute vie sainte est de devenir semblable à Christ. Quand il s’agit de la sainteté au niveau sexuel, cependant, le but est souvent perçu, de façon erronée, comme étant davantage un statut social (le mariage hétérosexuel) qu’un mode de vie (à l’image de christ) ». Or, Ed Shaw confesse que ce qui l’a souvent tenté d’abandonner la vie chrétienne, c’est l’absence de progrès dans ses efforts pour devenir hétérosexuel. Il n’a jamais ressenti d’attirance sexuelle pour une femme. Pourtant, il a chaque fois vu son espoir renaître après chaque période relativement longue sans attirance pour un homme, espoir qui volait en éclats quand un gars bien fait entrait dans sa vie ou apparaissait sur son écran de télé. Il a par conséquent toujours eu l’impression de ne faire aucun progrès en tant que chrétien, car il luttait toujours avec les mêmes désirs sexuels impies que lorsqu’il avait 16 ans. Dès lors, penser que la piété équivaut à l’hétérosexualité menace la vie spirituelle des personnes comme lui.

Dieu guérit-il de l’homosexualité ?

Il invite à se souvenir que Dieu ne garantit pas la restauration de toutes choses dans ce monde mais dans le monde à venir. Il l’affirme : « Nous ne garantirions pas à un paralysé qu’il sera totalement guéri de son mal ici et maintenant. Je ne pense pas non plus que nous puissions garantir à un homme attiré par les hommes une guérison sexuelle complète ici et maintenant. J’ai entendu suffisamment d’histoires convaincantes pour savoir que la sexualité peut se transformer (jusqu’à un certain point) chez certains et ne jamais bouger d’un millimètre pour d’autres.

Ne pas exiger davantage des homosexuels que des autres

« Si les chrétiens attirés par les personnes de même sexe ont toujours l’impression d’être jugés plus sévèrement que quiconque dans l’Église, le problème de crédibilité ne pourra qu’empirer, car les chrétiens qui luttent avec leur homosexualité savent qu’on leur demande des choses qu’on ne demande pas aux autres.

L’arrogance dans le domaine de la sexualité

Il critique ceux qui font preuve d’arrogance dans le domaine de la sexualité et se réjouit car, si des pasteurs comme lui ont commencé à parler de leur attirance pour les personnes de même sexe, d’autres ont commencé à parler de leur addiction au porno sur Internet, des affres de l’adultère ou de leur vécu dans un mariage sans sexe. Il invite à l’honnêteté face aux luttes personnelles, afin que l’Église ne soit pas toujours « perçue comme un lieu de répression et de ségrégation sexuelle, mais plutôt comme un lieu où tous ceux qui vivent une misère sexuelle (ce qui nous concerne tous !) peuvent trouver toute l’aide et le support dont ils ont besoin » (p. 106).

Réhabilitation du célibat

Ed Shaw relève par ailleurs que jamais il n’a entendu une bonne prédication « en faveur d’une vie de célibat. Quand on en parle, le célibat est généralement perçu comme un problème temporaire dont le mariage constitue l’heureux dénouement » (p. 109). Notre auteur milite donc en faveur d’une réhabilitation du célibat, qui est à ses yeux la seule voie possible pour les personnes attirées par les personnes de même sexe.

Ne pas craindre les souffrances de cette vie

Il dénonce le mensonge consistant à penser que ce qui nous rend heureux est forcément juste et bon. Pour lui, il faut arrêter de voir notre bonheur comme l’ultime autorité de notre vie, pour valoriser le bonheur tel que Dieu le définit. Lui-même ne craint pas les souffrances temporaires qui vont découler de ses choix. Il relève que Jésus nous enseigne que la souffrance pour une bonne cause ne doit pas être évitée, mais embrassée. À n’en pas douter, le célibat est à ses yeux une bonne cause, même s’il l’amène à se renier lui-même et à « dire simplement non ! » à tout soupçon d’immoralité sexuelle en acte ou en pensée. Ce choix de vie l’a mené à vivre parfois des « moments carrelages », c’est à dire des moments d’abattement passés sur le carrelage de sa cuisine.

Les personnes homosexuelles sont un don de Dieu

Ed Shaw conclut en encourageant à considérer les controverses posées par l’homosexualité et les personnes concernées comme « un don fait à l’Église. Un don de Dieu, même, car c’est exactement ce dont nous avons besoin, à ce moment de l’histoire, pour nous aider à percevoir toute une série d’erreurs tragiques que nous avons commises, au détriment de nous tous ainsi que des personnes que nous essayons d’atteindre » (p. 137).

Eloge de la sexualité

Contrairement à une idée fort répandue selon laquelle la sexualité et le sexe font partie de ce qui a mal tourné dans le monde parfait créée par Dieu, Ed Shaw relève que, lors de la Création en Genèse 1, Dieu a regardé les êtres sexués qu’il a créés et il a dit que c’était bon. Il enchaîne en affirmant que tous sont créés à l’image de Dieu ; il ajoute : « ce n’est pas la sexualité d’une personne qui rend ce fait caduc : peu importe avec qui couchent ceux qui portent l’image de Dieu, cela ne les prive pas de leur statut humain ni de leur dignité » (p. 141). Il poursuit en relevant que Genèse 2 met en place une éthique sexuelle crédible qui « ne prive aucune personne de son statut d’être humain à cause de ses désirs ou de ses aventures sexuelles » (p. 142).

Qui peut être sauvé ?

L’auteur de ce livre met en évidence, sur la base de Genèse 3,7, que toutes les relations sexuelles sont brisées. « Même le couple hétérosexuel chrétien « parfait » qui s’abstient de sexe avant le mariage a plein de raisons d’avoir honte et de se sentir embarrassé par sa sexualité et son vécu dans ce domaine. Quand, en tant que chrétien attiré par les personnes de même sexe, je fais part de mes sentiments d’imperfection à ce sujet, je n’ai pas à me sentir seul… » (p. 146). Si « tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Romains 3,23), c’est également vrai pour les hétérosexuels et les homosexuels, et toutes les situations intermédiaires. (….) Les hétérosexuels peuvent être sauvés par Jésus, tout comme les homosexuels. La foi en Jésus est tout ce dont nous avons besoin pour être justifiés devant Dieu, grâce à sa mort sur la croix à notre place » (p. 150). « Je ne suis pas dans une pire posture qu’un autre à cause de ma sexualité, et Dieu me traite exactement de la même manière que tous ses enfants. Cela signifie que j’ai hâte d’assister à la partie finale de l’histoire, qui ne tardera pas… » (p. 152).

Sa motivation : le bonheur éternel

Ce qui motive l’abstinence de Ed Shaw, c’est la perspective de l’éternité avec Jésus grâce à une vie de foi. « Je ne me blâmerai certainement pas, dit-il, pour mon absence de vie sexuelle dans mon passé douloureux, lorsque je profiterai de la vie dans cet avenir parfait ! Je ne demanderai pas à Dieu de reprendre ce qu’il m’a donné, quand je festoierai avec lui pour l’éternité. Je mènerai une vie parfaite, et mon histoire connaîtra ainsi un dénouement heureux » (p. 155).

Mon regard perso sur ce livre

Vous le voyez, le livre de Ed Shaw fait des avancées révolutionnaires pour les milieux évangéliques. Il est courageux. Toutefois, sa théologie ne suit pas toujours une ligne claire. Parfois il affirme le salut par la grâce en Jésus-Christ, mais, très vite, il retombe dans le salut par les œuvres, comme pour rassurer son lectorat. Il est étonnant qu’il ne dénonce pas ce mythe-là, car, précisément, une des erreurs théologiques qui minent la crédibilité des milieux évangéliques est l’impression que notre manière de vivre notre sexualité va être déterminante pour notre salut. C’est nier l’œuvre du Christ pour chacun de nous, comme si ce qu’il a accompli par sa mort à la Croix pouvait être contré par une homosexualité vécue. Quel manque de foi !

Oui, ce livre est surprenant : il passe d’affirmations révolutionnaires à des positions très conservatrices, se contredisant sur un même sujet. Et comme son auteur ne fonde malheureusement pas certains de ses positionnements avant-gardistes, cela ne leur donne, à mon avis, pas suffisamment d’épaisseur pour convaincre. Dommage ! Pourtant, il a fait beaucoup de chemin, mais se laisse encore enfermer par la peur des réactions de son milieu qui, avouons-le, peuvent être cinglantes !

Ce livre m’a intéressée, mais il est évident pour moi que l’éthique chrétienne ne demande pas aux personnes homosensibles de s’abstenir de toute pratique sexuelle. Il ne suffit pas d’affirmer que toute personne, même homosensible, est créée à l’image de Dieu si, pour le rester, elle doit demeurer dans l’abstinence.


Ed Shaw, L’Église et l’attirance homosexuelle: mythes et réalité, Ed. Ourania, Romanel-sur-Lausanne, 2019