QUI A CRÉÉ LES HOMOSEXUELS ?

RÉFLEXIONS SUR LE MARIAGE POUR TOUS

ET L’ACCUEIL DES PERSONNES HOMOSENSIBLES

Par Christian Glardon, 2015 Areuse NE.

Plutôt que de parler d’homosexualité, nous préférons le terme plus large d’homosensibilité, car cette orientation influe sur la sexualité et sur toute la personne.

1e partie :  MARIAGE POUR TOUS ET UNITÉ DE L’ÉGLISE

Quand Eglise rime avec crise

Oui, l’Eglise d’aujourd’hui vit des tensions autour du Mariage pour Tous. Mais n’idéalisons pas la première Eglise : moins de 20 ans après sa naissance à la Pentecôte, elle est en crise, elle est même menacée d’un schisme.

Deux sensibilités « théologiques » s’affrontent, dans un problème bien plus central que le nôtre : les « conservateurs » veulent exiger que pour être sauvés et entrer dans l’Eglise, les non-juifs se soumettent à la circoncision et à toute la Loi juive. (Les incirconcis pouvaient même être exterminés, Gn 17,14 !) En face, les « progressistes » refusent de leur imposer ce fardeau : « Nous-mêmes n’avons jamais pu le porter ; nous sommes sauvés par la même GRÂCE qu’eux, » Ac 15,10-11.

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Unité, liberté et charité

L’Eglise convoque alors le Synode de Jérusalem, vers l’an 49. Les deux parties s’expriment ; au lieu de s’affronter, elles dialoguent. L’Eglise dans sa pluralité de sensibilités, est à l’écoute de tous – et de l’Esprit Saint (en particulier dans les paroles de deux hommes reconnus dans un ministère prophétique, Jude et Silas, mentionnés trois fois). Ensemble tous parviennentà un consensus fait d’égards mutuels des deux sensibilités (Ac 15,22.25.28-29.32) : que les païens soient dispensés de la circoncision, mais sur quatre points seulement respectent la coutume juive.

Et ce consensus laissera à chacun la liberté de discerner au cas par cas quelle application du décret l’Esprit lui suggère. Paul par exemple circoncira Timothée mais pas Tite (Ac 16,3 ; Ga 2,3).

Saint Augustin dira plus tard : « Dans les choses essentielles : unité. Dans les choses secondaires : liberté. En toutes choses : charité »

         Qu’est-ce que cela signifie pour nous dans la question du Mariage pour Tous ?

1. Une Eglise plurielle   

Osons relever le même défi que les premiers chrétiens : notre Eglise est riche de plusieurs sensibilités théologiques et spirituelles. Par le dialogue, par le respect de l’Ecriture dans ses diverses interprétations et par l’écoute de l’Esprit, elle est appelée à recevoir de Dieu un vivre-ensemble dans l’amour.

Donc pas seulement une coexistence pacifique (où on se regarderait en chiens de faïence… ou comme chiens et chats !), mais en accueillant les différences d’opinion comme un enrichissement mutuel.

         Mais l’unité ne doit-elle pas être bâtie sur la Vérité ?

2.      Vérité et unité

D’abord la Vérité n’est pas une chose, encore moins une pensée unique, mais une Personne : le Christ (Jn 14,6). Il nous faut donc poser les problèmes à partir du Christ, qui est le Centre de la révélation de Dieu.  

Et puis l’Esprit nous conduit ensemble VERS toute la vérité ( Jn 16,13 : en grec la préposition eïs indique un mouvement vers un but). « L’unité de la foi et de la connaissance » (de la doctrine et de l’expérience) n’est pas la condition de l’unité de l’Eglise, mais le but de notre cheminement ensemble dans l’unité de l’Esprit (Eph 4,3.16). C’est le cadeau que la première Eglise a reçu de Dieu dans sa première crise.

         Le projet de Dieu en nous créant n’est-il pas uniquement un couple hétérosexuel (Gen. 1,26-27) ? C’est un point important de notre identité chrétienne.

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3.      Tous frères et sœurs en humanité

Notre identité commune à tous est d’être des humains, que nous soyons hommes ou femmes, homo-sensibles ou hétéro-sensibles ; et elle est infiniment plus importante que ce qui nous distingue les uns des autres. En amont de la différenciation des genres, nous sommes tous créés par l’amour du même Père.

Et Dieu, dans ces mêmes versets, parle d’abord 3 fois de créer l’humain, au singulier, – avant de parler 1 fois de la différenciation des hommes et des femmes !

D’ailleurs, durant les 8 premières semaines de notre existence, notre embryon était indifférencié, riche du potentiel d’un genre double. Et aujourd’hui encore, notre corps porte le « souvenir » du genre que nous avons « perdu, » sur la poitrine d’un corps masculin, et avec le clitoris féminin.

         Pourtant « Dieu créa l’humain à son image… homme et femme il les créa ! »

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4.      Tous créés à l’image de la même Famille Trinitaire

Dieu dit : « Faisons l’humain à notre image, selon notre ressemblance. » Il commence par partager son projet en « Famille » : le Père consulte le Fils et l’Esprit.  Par trois fois Il parle au pluriel[1].  Nous sommes à l’image de cette Trinité, qui n’est pas « genrée » ! [2]

« Être créés à l’image de Dieu » signifie avant tout que nous avons reçu de lui le même potentiel d’amour que celui qui circule entre ces trois Personnes, la même « promesse d’être participants de cette nature divine, » 2 Pi 1,4.

         A la question naïve ou un brin provocatrice « Qui a créé les homosexuels ? » nous      répondons que bien sûr à la base tous les humains sont créés par         Dieu ;  mais la vraie         question est :

         – L’homosensibilité est-elle éthiquement acceptable ?  N’est-elle pas une déviance         par rapport à l’hétérosexualité qui serait la norme ? Ne serait-ce pas plus franc de dire si elle est permise ou défendue par Dieu dans l’Ecriture ? Est-elle Bien ou Mal ?

– Justement pas !  C’est précisément cela qui a fourvoyé l’humanité dès le début ! C’est pourquoi il nous faut éviter ce piège en posant le problème autrement que par rapport à cet « Arbre à connaître le Bien et le Mal. »

La Bible n’est ni un Code des obligations ni un Catalogue des Normes en vigueur…

5.      Le piège de « l’Arbre à Juger : »

La toute première recommandation de Dieu à ses enfants bien-aimés, longtemps avant la « Loi », c’est de ne pas poser les problèmes en termes de Bien et de Mal ! Ce serait manger du fruit mortifère de « l’Arbre à Juger ! » (Genèse 2,17) Un problème mal posé ne peut conduire qu’à des solutions boiteuses et qui divisent au lieu d’unir.

         Alors pour Dieu il n’y a ni Bien ni Mal ?

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6.      Dieu et l’éthique

Dietrich Bonhoeffer, dès la première page de son Éthique[3], annonce la couleur :

« Le but de toute réflexion éthique semble être la connaissance du bien et du mal. Mais la première tâche de l’éthique chrétienne consiste à abolir cette connaissance.

(…) Pour l’éthique chrétienne, ce qui constitue la chute originelle, c’est la possibilité de connaître le bien et le mal.

(…) La chute originelle est donc le fait de divorcer d’avec Dieu. L’homme ne peut connaître le bien et le mal que contre Dieu. »

Si nous commençons par poser la question de l’homosensibilité en termes d’éthique, nous risquons d’enfermer l’Eglise dans un dialogue de sourds, un triste match de ping-pong entre « les versets contre et les versets pour » – qu’en revanche nous étudierons dans la 3e partie et/ou ultérieurement.

7.      Une histoire d’amour et non de lois ou de normes

L’histoire de l’humanité commence par une touchante histoire d’amour, racontée dans les deux premiers chapitres de la Genèse en langage poétique (la Bible est un livre juif donc oriental, qui parle souvent en symboles) : « Créons les humains à notre image, selon notre ressemblance ! » On croirait entendre là des fiancés très amoureux qui se projettent dans leur avenir familial et attendent avec impatience d’avoir des enfants !

Ainsi, avant même de créer les humains, Dieu leur prépare pour berceau le Jardin d’Eden, ce qui signifie Jardin de Délices, parce qu’il les veut non pas obéissants mais, avant tout, heureux :

« Dieu, qui déjà rêvait d’enfants, /  Fit de la terre un nid charmant… »

Dans ce paradis terrestre l’homme et la femme « étaient tous deux nus sans honte ni peur en eux ou entre eux. » Et Dieu leur donne premièrement une promesse très large : « Vous pourrez manger du fruit de tous les arbres du jardin… »

Ensuite seulement il ajoute : « Vous ne mangerez pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal » (c’est-à-dire « l’Arbre à Juger. ») Ce n’était pas une interdiction assortie d’une menace (comme si Dieu se réservait égoïstement pour lui-même la meilleure part du gâteau, le privilège d’être Juge de droit divin !). C’était au contraire un avertissement d’amour pour les protéger, eux. Le mode conditionnel n’existe pas en hébreu, mais on peut paraphraser ainsi  le sens profond de ces mots : « Car le jour où vous en mangeriez, vous mourriez. »

            Alors en quoi consiste la « chute ? «  

8.        La « chute »

(Nous mettons ce terme entre guillements parce que c’est un concept non biblique, hérité du bas-judaïsme.) La « chute »n’est pas la simple désobéissance à un interdit, ni la sexualité ou ses déviances, – c’est le fait de vivre en se méfiant de Dieu et en le tenant à distance. Alors que  Dieu, de son côté, ne se coupe pas de l’humanité. Jésus explique que « le péché du monde, c’est que les humains ne croient pas en lui » (Jn 16,9), qu’ils ne lui font pas confiance.

Quand les humains refusent de faire confiance aux paroles bienveillantes du Créateur, ce qui en résulte n’est pas le fait d’un châtiment divin (Dieu ne se manifeste que plus tard), mais simplement la conséquence annoncée, la moisson de ce que les humains ont eux-mêmes semé : la mort spirituelle, c’est-à-dire la perte de la relation.

« Distanciation » entre eux d’abord, l’Arbre à Juger suscitant la honte et la peur de l’autre dans sa différence, le besoin compulsif de rejeter la faute sur un autre ; puis la perte de la relation avec Dieu : avant même que le Créateur entre en contact avec eux, ils ont peur de lui et se cachent.

            Et le « péché originel » ?

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9.        Le péché originel, « fermeture à l’amour. »[4]

Ce que nous avons hérité d’Adam, c’est que nous portons en nous la même difficulté à faire confiance à Dieu. C’est que nous naissons hors du jardin d’Eden, c’est-à-dire dans un état de séparation avec Dieu, et cette fermeture en est la conséquence.

Mais Jésus est le nouvel Adam, de qui nous héritons la grâce, le regard bienveillant de Dieu sur nous tous : les anges nous chantent, à Noël et chaque jour si nous savons les écouter :   « Paix sur la terre aux humains, car Dieu les aime ! » (et non « aux hommes que Dieu aime, » – comme si Dieu avait ses favoris et qu’il n’aimait pas les autres !)

Le texte exprime poétiquement que, après « la chute, soit » la première fermeture des humains à l’amour, « Dieu descendit dans le jardin à la brise du soir, » comme un père rendant visite à ses enfants après la journée de travail pour prendre un peu de bon temps avec eux, par pur plaisir, par amour. Mais la honte et la peur les avaient envahis avant son arrivée !

 Leur mauvaise conscience n’était donc pas la voix de Dieu en eux : ce qu’ils ont entendu n’est que la voix de l’Accusateur. Dieu, lui, ne leur demande pas d’abord « Qu’as-tu fait ? » mais « Où es-tu ? » c’est-à-dire, au sens profond, « Où en es-tu ? » Il ne s’intéresse pas à leurs actes ou à leur faute, mais bien davantage à leur personne et leur bien-être, il cherche leur présence, la relation avec eux.

La « non-rétorsion » de Dieu après leur « vote de défiance » est magnifiquement exprimée dans le Livre de la Sagesse : [5]

            « Seigneur, tu as compassion de tous les humains, parce que tu peux tout.

            Tu fermes les yeux sur leurs fautes pour qu’ils reviennent à toi.

            Tu aimes en effet tout ce qui existe,

            Tu n’as d’aversion envers aucune de tes œuvres.

            Car tu n’aurais pas créé un être en ayant de la haine envers lui ! »

            Et comment aurait-il subsisté si tu ne l’avais pas voulu ?

            Comment aurait-il conservé l’existence s’il tu ne l’y avais pas appelé ?

            Mais tu épargnes tous les êtres, parce qu’ils sont à toi,

            Maître qui aimes la vie,

            Toi dont le souffle impérissable anime tous les êtres. »

Cette promesse n’embrasse-t-elle pas aussi toutes les personnes homosensibles ? Même si leur orientation sexuelle était une faute (ce qui n’est pas le cas, comme nous le verrons plus loin), Dieu les aimerait tout autant !

         Peut-on traiter de l’homosensibilité sans parler de la volonté de Dieu, du péché ?

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– Avant tout, il s’agit de

10.    Mettre à jour notre image de Dieu : ni Législateur ni Juge.

Lors de la création, Dieu bénit ses créatures. Il ne souhaite pas avec l’humanité une relation d’obéissance mais d’amour. Il EST Amour. Toutes les personnes qu’il a créées, sans exception, y compris les personnes homosensibles (la « chute » n’a pas altéré leur sexualité, nous y reviendrons), – le cœur de Dieu les attend, les accueille, les aime.

         Alors pourquoi Dieu a-t-il créé certaines personnes avec cette particularité ?

– Jésus dit que l’origine de l’homosensibilité est un mystère (Mt 19,11 ; nous y viendrons dans un instant à propos des eunuques). Raison de plus pour aborder cette question, et surtout les personnes homosensibles, sans préjugé, avec respect et amour.

         Sur quelle base biblique pouvons-nous approcher ce mystère ?

– C’est justement en Christ que nous trouverons non pas un enseignement systématique sur ce sujet, mais quelques pistes qui nous aideront à cheminer avec ces questions.

Car « personne n’a jamais vu Dieu, sauf le Fils unique, qui est dans le sein du Père (c’est-à-dire dans une communion éternelle et constante avec Dieu, depuis toujours) : c’est Lui qui nous l’a fait connaître » (Jn 1,18), en venant sur la terre, par sa vie et ses paroles.

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 2e PARTIE : JÉSUS-CHRIST, VISAGE DE DIEU

11.    Jésus, les eunuques – et les personnes homosensibles   

         Jésus aurait-il dit quelque chose au sujet de l’homosensibilité ?

– Oui, indirectement. Curieusement, ni les « Dix Paroles » ni le Christ ne la mentionnent ;  elle a pourtant a existé de tout temps dans toutes les sociétés.[6] Peut-être simplement qu’elle ne posait pas de problème majeur aux juifs, parce qu’elle permettait à ces personnes de répondre entre elles à leurs besoins affectifs sans risquer de détruire un couple hétérosensible.

Mais en Mt 19,3-12 Jésus parle des eunuques, dont le point commun avec les homosexuels était leur impossibilité de procréer, du moins à cette époque. Or avoir une descendance était fondamental pour beaucoup de juifs, dont la plupart ne connaissaient pas la promesse d’une vie après la mort, d’une résurrection. Leur seule espérance était donc qu’à leur décès leur nom soit perpétué par la famille qu’ils avaient fondée, afin qu’ils ne sombrent pas dans l’oubli.   

12.    Accueillir les mystères de Dieu

Au sujet du mariage et du divorce, donc de la fin d’une vie de couple, Jésus fait un parallèle avec les eunuques, eux aussi privés de sexualité et d’une descendance, avec ces mots : « Seuls ceux à qui cela est donné peuvent comprendre cette parole. Car il y a des eunuques qui le sont dès avant leur naissance. Et il y en a d’autres qui ont été rendus tels par des actes humains » (c’est-à-dire par une castration – ou par les circonstances de la vie).

Pour l’instant, contentons-nous de dire, avec une parole de Jésus au sujet de l’aveugle-né, en réponse au « pourquoi » des disciples : « Ce n’est pas que lui ou ses parents aient péché, c’est afin que Dieu puisse se manifester en lui, » Jn 9,3. Passons du « pourquoi ? » au « pour quoi ? » en deux mots.

Avant de savoir COMMENT Dieu va s’y prendre, nous pouvons d’abord savoir d’abord QUE  Dieu est présent dans la vie des personnes homosensibles, et qu’il donne un sens à cette condition de vie particulière.

Un mystère n’est pas simplement une chose qui nous irrite parce qu’elle résiste à notre logique habituelle : elle cache la présence d’une Personne aimante et puissante.

Avant de comprendre les mystères de Dieu, approchons-les avec respect et foi, en nous réjouissant de découvrir ce que Dieu va faire : une œuvre d’amour, dans un projet d’avenir.

13.    Jésus incarne la vraie JUSTICE de Dieu à l’égard des eunuques et des homosexuels.

Il tient compte du fait que certains sont eunuques de naissance, et que d’autres ont été rendus tels « par les humains. »

Aujourd’hui cela s’applique aussi à toutes les personnes LGBTIQ+ ou asexuées[7] : elles ne sont pas responsables de leur privation ou de leur orientation sexuelle. La plupart d’entre elles ont d’ailleurs cherché à devenir « comme les autres, » le plus souvent sans succès.

Puisque le choix de notre orientation sexuelle, généralement de naissance, n’est pas du ressort des humains, – L’HOMOSEXUALITÉ N’EST NI UN PÉCHÉ NI UNE « ABOMINATION »[8] !

Il serait foncièrement injuste de juger ou d’exclure ces personnes à cause de leur différence. Dieu le premier serait absolument incapable d’une telle injustice.

14.    Jésus incarne L’EMPATHIE DE DIEU à leur égard.

Jésus voit avec empathie que ces personnes souffrent d’être « pas comme les autres » et d’être souvent rejetées à cause de cette différence. Car « Dieu est particulièrement proche de ceux que brise la souffrance. »[9] « Lui qui habite dans la sainteté, il est du côté de ceux que l’existence a écrasés et humiliés, afin de leur rendre la vie.»[10]  

Car justement le mot saint veut dire mis à part, autre, différent. L’expression le Dieu trois fois saint  signifie qu’il est le Tout-Autre. Les Pharisiens, qui s’estimaient purs et saints, croyaient que Dieu leur demandait de se séparer des gens ordinaires (Pharisiens veut dire les séparés) ; ils pensaient que toute épreuve ou souffrance était un châtiment divin pour des péchés. Or Dieu est fondamentalement autre : Il est « avec les humains écrasés et humiliés, » il prend même leur parti pour les relever !

Comme le Christ et avec lui nous sommes appelés à être solidaires de ces souffrances – et non d’en rajouter en ignorant ces personnes, activement ou passivement.

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 15.   Jésus accueille chaleureusement les méprisés, les exclus.

Dans le judaïsme, on appelait « pécheurs » ceux qui n’étaient pas en règle avec la Loi ; il était interdit de les fréquenter. Or Jésus n’a jamais repoussé aucune de ces personnes. La première accusation contre lui est précisément : « Il accueille les pécheurs et il mange avec eux, » [11] signe d’une vraie amitié.

 Dans sa première prédication,[12] ce sont les mêmes personnes que le Christ appelle « les pauvres, » parce qu’elles ne sont pas en mesure de suivre toute la Loi.Et c’est à ceux-là les premiers qu’il apporte la Bonne Nouvelle du salut, c’est-à-dire de l’amour inconditionnel de Dieu, qui leur offre la guérison des blessures de leur cœur et  de leur vie, la libération(des jougs de la Loi), la guérison de leur cécité spirituelle,  la délivrance de leurs dépendances  ou esclavages intérieurs, l’effacement de leurs dettes de vie, comme dans l’Année du Jubilé…

Encore une fois, l’homosensibilité n’est pas un péché. Mais si Jésus accueille tous les « pécheurs, » à plus forte raison il accueille à bras ouverts tous ls LGBTIQ+, toutes les personnes marquées par l’injustice et le rejet qu’elles subissent !

16.    Les bras ouverts du Crucifié

C’est ce même amour des méprisés qui l’a conduit à la Croix, parce qu’il tenait à rectifier les fausses images de Dieu, et à donner de son Père l’image non d’un Juge, mais d’un Dieu de grâce et de non-jugement, qui regarde au cœur et non à l’apparence (1 Sam 16,7). Ce qu’il recherche, c’est  l’amour, – y compris celui de Pierre après son reniement (Jean 21,14-17).

« Ubi caritas et amor, Deus ibi est  : là où est l’amour, là est Dieu. »

Il n’y a pas d’amour où Dieu ne soit pas. Ne peut-il pas y avoir autant (ou plus) d’amour dans les couples de même sexe que dans les couples hétérosexuels ? [13]

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17.    Jésus est souverainement libre face à la lettre de la « Loi. »

Jésus, par exemple face à la femme adultère, refuse de se poser en législateur. En disant : « Je ne te condamne pas non plus, » il se place sur un autre terrain que la Loi : celui de la conscience,  qui accule tout le monde à la grâce, à être indulgents puisque nous sommes tous pécheurs, et à pardonner : voilà la vraie image de Dieu qu’il nous offre ![14]

Un enseignement et non une loi

Nous mettons le terme de « loi » entre guillemets, car dans le Premier Testament le terme hébreu Torah ne signifie jamais loi, mais toujours enseignement. Il vient du verbe yarah, lancer : on lançait un caillou pour indiquer un chemin à un voyageur égaré, pour lui montrer une direction, une orientation.) Ainsi la Torah était à la base un « poteau indicateur, » un recueil de préceptes ou de conseils pour une vie heureuse.

Dans le Deutéronome, qui reprend et développe les préceptes antérieurs, revient comme un refrain au moins sept fois l’expression « afin que tu sois heureux ! »  On est donc loin d’une loi ou d’un code civil ou pénal !

Ce n’est que plus tard que la Torah a été pervertie en « Loi. » Mais ce grave malentendu a été officialisé et pérennisé par la traduction grecque dite des Septante, où Torah a été rendu par nomos, qui désigne une loi juridique.

         Mais Jésus ne dit-il pas que pas un iota de la Loi ne disparaîtra ?

18.    Le Sermon sur la Montagne (Mt 5,17-18).

– Oui, cette parole est bien dans ce Sermon. Mais justement, faire de ce discours « la charte du Royaume » ou « les exigences de l’Evangile » est un malentendu gigantesque, et qui nous condamnerait tous. Car qui pourrait se targuer d’être « parfait comme le Père céleste est parfait » ?

Et la mention du dernier iota de la Loi continue par « … Si votre justice ne dépasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux… Celui qui traite son frère d’insensé mérite d’être puni par le feu de l’enfer, » etc !

         Le Sermon sur la Montagne serait-il alors « un idéal, un but à atteindre… » ?

– Non, surtout pas ! Car cela nous écraserait chaque jour de ne jamais être à la hauteur de cet idéal ! Où serait le joug léger et le repos pour notre âme et pour notre vie que le Christ nous a promis (Mt 11,28-30) justement par opposition aux jougs pesants imposés par les maîtres de la Loi ?

La porte du Royaume ne s’ouvre ni par l’éthique ni par la Loi : on n’y entre que par la porte étroite de la grâce, par le Christ qui dit « JE SUIS la Porte, » Jean 10,7.

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19.    Jésus incarne l’accueil inconditionnel de Dieu

Au fond, Jésus ne s’intéresse pas à nos péchés ! Sauf pour nous les pardonner et nous en délivrer ! A ma grande surprise, aucune des personnes qu’il a accueillies n’a demandé pardon à Dieu ou à Jésus,[15] même pas Pierre après son triple reniement ![16] A Pierre (et à nous après nos nombreuses lâchetés), il demande seulement : « M’aimes-tu ? » Comme si l’amour était la seule chose au monde qui compte pour lui.

Certes, demander pardon nous soulage, nous – mais ce n’est pas une condition que Dieu pose ! La confession des péchés à Dieu (Ps 32,3-5) n’est pas là pour changer le cœur de Dieu (comme s’il avait un cœur sec ou procédurier, qui demandait à être amadoué…) – elle change notre cœur à nous !

20. Jésus et le péché

Ici encore, j’ai eu une sacrée surprise, ou plutôt une surprise sacrée : Jésus parle très peu du péché, beaucoup moins que nous ! Il n’est pas obsédé par cette thématique, elle n’est pas centrale pour lui – mais quand elle l’est pour nous, il vient sur notre terrain. Il n’en parle que dans trois contextes différents :

a) Jésus annonce bien des fois : « Tes péchés sont pardonnés ! » Il le fait spontanément (et non en réponse à une demande de pardon) et unilatéralement, sans exiger une réponse ou un merci !)  Le verbe grec est même au parfait (une action passée qui porte son fruit dans le présent) : « Tes péchés ont été pardonnée ! ».

b) Jésus ne parle pour ainsi dire jamais de péché… aux pécheurs (à la Samaritaine il parle uniquement en termes de soif, et non de péché), ni même aux disciples. Il réserve le terme de péché… aux gens religieux qui essaient de se justifier par la Loi 

c) Le péché du monde est… de ne pas croire en Lui ! Donc aucune notion de péché moral ! Le triste héritage qui nous a été transmis depuis Adam, même sans transgression de notre part, c’est cette situation de séparation d’avec Dieu, notre « mort spirituelle » (Rm 5,14).  Or même ce péché-là… Jésus l’a porté et enlevé d’avance : « Voici l’Agneau de Dieu qui porte et enlève le péché (et non les péchés) du monde ! » annonçait Jean-Baptiste.[17]

Autre surprise : le Nouveau Testament ne mentionne jamais si ces personnes ont changé de comportement ou non ! On l’espère, évidemment, – mais le texte ne le précise même pas ! « Les publicains et les prostituées vous précèdent dans le Royaume (et non vous précéderont ! Mt 21,31). Maintenant déjà ! Tout changement sera un fruit de cet accueil inconditionnel, et non une condition.

            Que peut offrir Jésus à ceux qui souffrent parce qu’ils sont différents ?

21.    Une espérance pour ceux qui sont « différents »

Dans le passage de Mt 19,1-12, Jésus promet aux eunuques, et aussi à ceux qui auront accepté volontairement leur privation d’une sexualité ordinaire, une récompense « dans le Royaume. »

Or le Royaume dont il parle n’est pas seulement le bonheur du ciel après la mort : le Royaume, c’est le monde nouveau qu’il est venu inaugurer sur la terre ! « Si quelqu’un est relié au Christ, il est une nouvelle création ! Les choses anciennes sont passées, toute la réalité du monde est devenue nouvelle ! »[18]

Jésus fait sans doute allusion à la magnifique promesse de Dieu par la bouche du prophète Esaïe (56,3-7) :

« Que l’étranger qui s’attache au Seigneur ne dise pas : Il va m’exclure de son peuple !

Et que l’eunuque ne dise pas : « Voici, je suis un arbre sec !

Car ainsi parle le Seigneur : (…) Je leur donnerai dans ma Maison et dans mes murs une place et un nom (littéralement un sexe[19] et une descendance) encore meilleurs que des fils et des filles ; je leur donnerai un nom (une postérité) qui ne périra jamais ! 

Et les étrangers qui s’attacheront au Seigneur (…), je les amènerai sur ma montagne sainte, et je les réjouirai dans ma maison de prière ! »

Or c’est l’expression rendue ici par « un sexe et une descendance, »  en hébreu Yad Vashem,qui a été choisie pour le Mémorial de la Shoah à Jérusalem. Elle exprime que toutes les victimes privées de vie et de descendance auront une descendance immortelle et ont déjà sur terre une postérité en la personne des juifs d’Israël et de la Diaspora juive.

Et tous ceux qui ne peuvent pas procréer, tous les couples sans enfants,  sont au bénéfice de la même promesse que Jésus, le Serviteur du Seigneur : « Il a livré sa vie en sacrifice et verra une postérité » (Esaïe 53,10).

            Mais comment cela est-il possible ?

Dieu promet d’accomplir cette promesse de plusieurs façons différentes :

 Au sens spirituel : comme l’apôtre Paul avec ses enfants spirituels Timothée, Tite, Philémon et tant  de croyants, – nous pouvons par notre amour engendrer des dizaines « d’enfants de cœur » (qui ne seront pas forcément des « enfants de chœur » qui ne causent jamais de problèmes !) ; voir 1 Th 2,7.11 ; Ph 1,6-8.

– Au sens figuré, par la créativité : « leurs oeuvres nous suivent » (Ap 14,13). Le poète-chanteur Charles Trenet, à qui on demandait s’il ne regrettait pas de ne pas avoir eu d’enfants, répondait : « Mais mes chants sont mes enfants ! Je les aime comme mes enfants ! »

– Au sens concret : pour les eunuques et tous les couples dans l’impossibilité de procréer, je vois dans l’expression « un sexe et une descendance » la promesse d’un plein épanouissement du potentiel de leur corps dans la tendresse physique, avec ou sans sexualité. Car la sexualité est avant tout le langage de la tendresse : dans la seconde narration symbolique de la création du couple originel (probablement la plus ancienne), Dieu parle de cette union des corps uniquement sous l’angle de l’attachement mutuel, de l’amour, sans mentionner la fonction de reproduction : un amour gratuit, et non d’abord « utilitaire » !

Et par-dessus le marché, le Dieu qui adopte les orphelins (Ps 68,6-7) se réjouirait certainement que l’adoption puisse bientôt s’ouvrir à tous, aussi aux couples de même sexe !

         Pour en revenir au mariage pour tous, les chrétiens ne doivent-ils pas résister à   des lois civiles qui défient les lois de Dieu ?

22.    Jésus ne s’oppose pas aux lois civiles, – il en est souverainement libre !

– Pour l’impôt dû à l’Empereur, dont l’effigie était sur la monnaie, on pouvait penser qu’en le payant on acceptait de le reconnaître comme un dieu. Mais le Christ nous fait participer à sa souveraine liberté en disant : « Rendez à César ce qui est à César ! » Nous sommes dans le monde sans être du monde intérieurement.

Quant à l’impôt du Temple, il fait constater à Pierre que c’est un impôt injuste – mais avec une liberté souveraine ET pleine d’égards, pour ne pas être pour les percepteurs une occasion de chute (un obstacle qui les éloigne de Dieu), – il envoie Pierre pêcher un poisson qui contiendra une pièce de monnaie (romaine !) suffisante pour payer leur taxe à tous les deux !

Ce n’est pas Jésus, c’est Jean le Baptiseur qui pour des raisons éthiques s’oppose au remariage d’Hérode avec sa belle-sœur ; et il est mort en martyr non de l’Amour, mais de la Loi. Jésus semble déplorer qu’il soit resté sur le seuil du Royaume (Mt 11,11-12). Ce n’était pas « le bon combat de la foi, » selon l’expression chère à Paul[20].  Sommes-nous disciples de Jean-Baptiste ou de Jésus

         Ne serons-nous pas jugés sur nos actes ?

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23.    Jugement Dernier et responsabilité première

– Ce que nous appelons le « Jugement Dernier[21] » nous indique… notre responsabilité première : l’amour des « petits » de toutes sortes, des exclus, des méprisés.

Et dans ce domaine nous serons devancés par bien des gens qui ne se réclament ni de la Loi ni de Jésus[22] – mais qui auront suivi une impulsion spontanée de leur cœur, jaillie de l’image de Dieu enfouie en eux. Mais nous pouvons apprendre d’eux.

24.    Le mystère de la piété

Ce mot n’est guère populaire, il sous-entend souvent une religiosité extérieure voire hypocrite. Et pourtant, étymologiquement il est apparenté au mot prière. Il suppose une intériorité, un mouvement du cœur, du centre de la personne. Je le définirais comme la réponse de notre amour humain à l’amour divin.

C’est sans doute dans ce sens que l’emploie la Première Lettre à Timothée (3,16) : le mystère de la piété. Pourquoi le mystère ? Parce qu’on ne peut pas le juger de l’extérieur.

Comme avec les « conservateurs » et les « progressistes » de la première Eglise au Synode de Jérusalem, nous ne pouvons pas juger des intentions profondes ou des motivations spirituelles des uns et des autres derrière leurs OUI ou leurs NON au Mariage pour Tous. Méfions-nous tous de « l’Arbre à Juger » qui nous est interdit.

En clair, dans les divergences de vues, nous pouvons offrir de bon cœur aux uns et aux autres

25.    Une présomption de sincérité.

Les uns diraient : « Ma façon d’aimer Dieu est de suivre à la lettre ce que je connais de ses commandements, en restant le plus près possible de sa Parole. » Les autres diraient : « Ma façon d’aimer Dieu est de chercher à comprendre ce que chacun de ses commandements voulait dire à l’époque et dans le contexte où il a été donné, pour en  tirer l’application à la situation actuelle. »

« Laissons à Dieu le jugement des cœurs, » disent certains principes de notre Eglise. Ou plutôt laissons-lui poser un regard bienveillant sur les uns et les autres.

Au lendemain du vote, quel qu’en soit le résultat, il n’y aura pas des vainqueurs et des vaincus, mais un reflet du stade actuel de l’évolution de notre société. Tout ce qui est vivant évolue pour survivre. Que d’évolutions positives la société et l’Eglise ont déjà vécues, ou sont en train de vivre, avec l’abolition de la lapidation et de la peine de mort, une AVS encore imparfaite mais qui a le mérite d’exister, le ministère féminin, l’évolution du statut social de la femme, etc.

Que les débuts d’échanges et de dialogue autour du Mariage pour Tous nous préparent aux prochains Synodes et nous apprennent la patiente recherche d’un consensus à recevoir de Dieu.

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3e PARTIE : OSER REVISITER QUELQUES TEXTES DIFFICILES

Remettre les textes dans leur contexte historique

La Bible ne s’exprime que rarement en vérités abstraites, immuables et éternelles (« Dieu est amour »). En bon pédagogue, Dieu parle le langage de ceux à qui il s’adresse, et leur dit ce que leur stade de croissance leur permettra de comprendre et d’appliquer à leur réalité.

1er exemple : à l’époque où les sacrifices humains étaient courants, Dieu donne à Abraham une expérience, une épreuve qui lui fera comprendre que Dieu ne veut pas ces sacrifices-là. Le texte hébreu, souvent mal traduit, commence par ces mots, littéralement : « Le dieu dit à Abraham : Sacrifie ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac ! » [23] Voilà ce que son image païenne de Dieu lui avait enseigné jusque-là. Puis Dieu lui fait faire un pas à partir de là, en remplaçant le sacrifice humain par un sacrifice animal.

2e exemple : plus tard, dans le Livre du Lévitique, il est significatif que les chapitres sur les sacrifices commencent par « Lorsque quelqu’un fera une offrande… » et non « Faites-moi des offrandes ! » [24]  Et Dieu enseignera à son peuple comment lui offrir des sacrifices qui ont du sens, dont la symbolique pointe dans la bonne direction. Par exemple le bouc pour Azazel[25] chargé des péchés du peuple et envoyé dans le désert signifie que Dieu « renvoie la malédiction à l’expéditeur » !

3e exemple : plus tard encore, Dieu montrera à son peuple le pas suivant par un Psaume :

« Dieu, tu ne prends pas plaisir aux holocaustes, tu ne veux pas de sacrifices (tangibles). Tout ce que je peux t’offrir, c’est ma vie cassée (par mes épreuves ou mes erreurs) !… Les vrais sacrifices que tu acceptes, ce sont des taureaux (qui littéralement monteront sur ton autel) », donc les offrandes vivantes dont parlera Paul quelques siècles plus tard ! [26]

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GENÈSE 1 : Le premier poème de la Création :

Ce récit symbolique vise d’une part à protéger Israël contre la tentation de suivre les religions ambiantes dans leur adoration de la nature, des astres, et des dieux païens, ou dans le mépris des choses naturelles : il faut adorer le vrai Dieu, celui d’Israël, qui a créé tous les astres, qui a placé créé les humains à son image donc en position de supériorité et de responsabilité pour la nature, et qui prend soin de son peuple, en faisant toutes choses bonnes pour les siens. Alors que les dieux païens règnent par la peur et asservissent les humains.

D’autre part, ce texte  souligne la responsabilité du peuple de se multiplier :

Ce poème a étérédigé à la fin de l’Exil ; il s’agissait à cette époque de fortifier Israël dans son identité  et dans sa stratégie de natalité. De là l’accent sur la fonction de reproduction de la sexualité, sa dynamique extérieure.

Notre parenté avec les animaux et notre responsabilité envers eux est indiquée par le fait que les humains sont créés le même jour que les animaux terrestres, avec la même capacité qu’eux de pro-créer (créer de la part de Dieu et comme à sa place). Les uns et les autres sont appelés du même nom d’« êtres vivants » (littéralement âmes vivantes), et bénis par Dieu avec la même formule, excepté la mention du « leadership » des humains sur la Création.

Genèse 2 : le deuxième poème de la Création :

A la différence du premier, il met l’accent sur la dynamique intérieure du couple : les deux partenaires sont de même nature, égaux en dignité, donnés l’un à l’autre pour s’entraider, et liés ensemble non par un lien institutionnel mais par un attachement d’amour physique et affectif.

a) 2,18 : L’épouse sera pour son mari une partenaire – et non une « auxiliaire » : ézer désigne quelqu’un qui secourt et appuie l’autre ; ce mot est souvent employé pour Dieu (qui n’est pas l’auxiliaire ou le second de l’homme !). C’est même un mot masculin en hébreu : « Je lui ferai un aide en face de lui !

b) La femme est une partenaire en face de l’homme (et non en position inférieure), pour le compléter par sa différence, mais sur pied d’égalité, comme la main droite est l’inverse de la gauche, en même temps semblable et complémentaire.

L’image en 2,21-22 souligne que l’épouse est de la même nature (divino-humaine) que l’homme, elle est donc son égale. En hébreu, dans ce récit symbolique de sa création, elle n’est pas tirée de l’homme masculin (ish) comme si le féminin était un « produit dérivé » donc second : elle est tirée d’un côté (pas d’une côte !) de l’humain (adam) qui est leur nature commune. Adam, dans tout ce texte,ne désigne pas « Monsieur Adam » comme on pourrait le croire, mais signifie l’humain.

Au v. 23, l’homme masculin s’émerveille que Dieu lui ait « trouvé » et « fait sur mesure » une compagne non pas issue des animaux existants (v. 22), mais faite de la même « matière première » que lui (mêmes os et même chair).[27]

c) Le v. 24 souligne que la sexualité est plus qu’une fonction purement physique : elle est aussi un attachement ( affectif, psychologique) par lequel deux personnes deviennent une seule entité, sur le plan social aussi : ils deviennent une nouvelle famille, détachée et indépendante de leurs parents socialement et psychologiquement. Le verbe haiah en hébreu est dynamique et non statique. Paul l’exprimera en trois termes parallèles : « En lui nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Ac 17,28).

d) La sexualité apparaît ici uniquement dans sa fonction interne, de construction intérieure du couple, et non dans sa fonction externe de procréation comme dans le premier récit symbolique : aucune mention d’enfants.

Ce chapitre est donc étonnamment moderne, en avance sur son temps, surtout si l’on réalise qu’il a été écrit à l’époque patriarcale !

Et c’est à ce deuxième poème de la Création que se réfère Jésus, comme primant sur la Loi que citent les Pharisiens. « Au commencement » la Loi n’existait pas encore. Jésus considère donc que par la grâce de Dieu et l’amour humain, même après la « chute », nous sommes remis comme en Eden, avec à notre disposition toutes les ressources créatrices et réparatrices de Dieu. Car « la Loi ne peut pas anéantir les promesses faites plusieurs siècles auparavant.[28] »

Quelles promesses pour tous nos couples, homo- ou hétéro-sensibles ! Car rien dans ce chapitre ne souligne l’altérité des sexes, ni n’affirme qu’un couple sans enfants aurait moins de valeur.

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Le malentendu de Sodome (Genèse 19)

Le nom de cette ville est devenu le symbole méprisant de l’homosexualité, parce que ses habitants ont tenté d’abuser des trois envoyés divins hébergés par Lot, le neveu d’Abraham.

Mais  il n’est pas dit que Sodome ait été condamnée pour cette raison : leur « péché énorme» (18,20) n’est pas précisé, et il est mentionné avant l’arrivée des envoyés divins à Sodome, donc avant la tentative de toute la ville (19,4) de procéder à un viol collectif, homosexuel ou hétérosexuel.

En revanche le texte mentionne clairement, dans la démarche de Lot pour protéger ses hôtes, l’importance de la loi de l’hospitalité et de la protection des étrangers, que les Sodomites ont l’intention de transgresser. Et Lot lui-même est l’objet d’attaques verbales racistes.[29] C’est donc avant tout pour ces deux fautes-là que Sodome est condamnée. L’homosexualité n’est mentionnée nulle part.

D’autre part Jésus déclare que la faute de Sodome et Gomorrhe ou de Tyr et Sidon, quelle qu’elle soit, est moins grave que celle de Capernaüm, Chorazin ou même de Bethsaïda, patrie de Philippe.[30] Car Jésus voit en Sodome un potentiel de foi plus grand qu’en certaines villes d’Israël.

Enfin, si la sodomie désigne la pénétration anale et que celle-ci procure un certain plaisir à ceux qui la pratiquent, et si nous considérons Dieu comme le créateur du corps humain, – pourquoi aurait-il mis une source de plaisir dans le lieu corporel de cette pratique s’il la juge répréhensible en soi ?

Lévitique 18 : l’homosexualité, une « abomination » ?

Ce chapitre commence et se termine par une mise en garde contre des pratiques des religions païennes. Dans ce contexte, l’abomination désigne une condamnation d’ordre religieux et non moral ; l’homosexualité mentionnée ici n’est pas condamnée en soi, mais en tant que coutume païenne, par exemple dans la prostitution sacrée.

D’autre part tous ces chapitres font partie des commandements de la loi juive auxquels  nous ne sommes plus soumis depuis le consensus du Synode de Jérusalem[31].

Mais surtout les lois familiales de cette époque sont intimement liées à l’époque et à la culture dominante du patriarcat, où la femme et la famille étaient considérées comme la propriété du chef de famille. Ainsi, dans nos chapitres, « celui qui couche avec sa tante déshonore son oncle ! » ou « celui qui viole une jeune fille vierge devra l’épouser… » : pas le moindre respect pour la personne de ces femmes. Ou encore la loi de la lapidation… 

Impossible de commencer à trier dans ces vestiges d’un autre temps et d’une autre culture. Ici une grille de lecture fondamentaliste touche ses limites, et d’ailleurs personne ne songe à remettre ces lois en vigueur. Mais la question est : sur quel critère peut-on juger de ce qui est d’actualité et ce qui ne l’est plus ?

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NOUVEAU TESTAMENT

Pour ce qui est des textes litigieux dans le Nouveau Testament (principalement Romains 1,26-27 ; 1 Cor. 6,10), je renvoie volontiers aux ouvrages de Simon Butticaz « Le Nouveau Testament sans tabous, » chapitre Homosexualité[32], et surtout de Nicole Rochat « Homosensibilité et Foi chrétienne,[33] » fruits de recherches approfondies, et mines de renseignements précieux.

Je me contenterai ici de partager quelques pensées sur certains de ces textes

Romains 1,26-27 : des pratiques contre nature ?

Premièrement, l’expression contre nature pose une question : contre quelle nature ? Si l’homosexualité est contre la nature hétérosexuelle de la majorité des gens, l’inverse est vrai aussi : si l’on veut à tout prix imposer le moule majoritaire de l’hétérosexualité à une personne homosexuelle de naissance, elle le ressentira aussi comme contre nature !

Deuxièmement, la pointe de ce texte n’est pas une exhortation éthique comme souvent dans la seconde partie des lettres de Paul, c’est une argumentation théologique, qui vise à prouver que toute l’humanité a besoin d’être sauvée par la grâce de Dieu : car elle est sous la colère d’amour de Dieu, c’est-à-dire sa protestation d’amour contre les déchéances humaines.

Face à la philosophie stoïcienne qui se targuait de pouvoir dompter les passions humaines, et face au légalisme juif qui cherche à se justifier par la Loi, Paul montre que cette démarche est impossible, que tout humain sans Dieu reste esclave de ses pulsions ; et qu’au contraire c’est Dieu seul qui maîtrise l’histoire humaine. A trois reprises Paul scande que Dieu a livré à leurs passions tous les humains qui ne s’ouvrent pas à leur salut en recherchant l’aide de la grâce de Dieu.

La sexualité comme langage de l’amour et de la tendresse

Troisièmement, dans ce texte, Paul raisonne à partir de la culture et du langage de son époque, et l’expression l’usage de l’homme ou de la femme donne une fausse image de la sexualité, qu’elle soit homo ou hétéro : on n’utilise pas son partenaire, la femme se donne par amour à son compagnon ou sa compagne, et l’homme aussi – ce qui est nouveau ! – se donne à son ou sa partenaire, à l’image du Christ qui s’est donné pour l’Eglise(Eph 5,24). Le mot usage a une connotation bestiale.

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4e Partie :  ET MAINTENANT… ?

Prolonger le témoignage biblique par notre réflexion personnelle

 Dieu ne capitule jamais devant les échecs de l’humanité

Non seulement il a des plans B, C, D, etc., mais il conduit l’Histoire vers le Point Oméga d’une fin glorieuse. La « fin du monde » signifie en réalité « le but du monde, »  le couronnement de l’Histoire. Les derniers chapitres de l’Apocalypse nous dévoilent un monde neuf.

Personne n’a jamais vu Dieu. Le Fils est celui qui l’a fait connaître[34]. »

Jésus nous révèle le visage et le cœur du Père, son accueil d’amour inconditionnel. Dans sa prédication inaugurale,[35] il ne s’inscrit pas dans la ligne de la « Loi » de Moïse, ou plutôt de l’Alliance du Sinaï, dont l’esprit libérateur a plus tard été trahi et perverti en loi !

Non, Jésus s’inscrit dans la lignée des prophètes ultérieurs, en citant Esaïe 61 : « L’Esprit du Seigneur est sur Moi… Aujourd’hui cette parole s’accomplit sous vos yeux ! » Le Christ fait voler en éclats l’interprétation étroite de la Loi !

La Bonne Nouvelle aux « pauvres »

Ainsi, comme Elie et Elisée opérant des miracles en faveur de personnes non juives donc sans droits au regard de la Loi (la veuve de Sarepta, Naaman le Syrien), il annonce la Bonne Nouvelle aux pauvres, pas seulement aux gens en situation de précarité, mais aux pauvres en esprit, aux pauvres au sens figuré, c’est-à-dire à ceux qui sont incapables de vivre en conformité avec la Loi !

Il ouvre le Royaume à des personnes étrangères au peuple de Dieu, par exemple en guérissant la fille de la femme syro-phénicienne[36] (nous dirions aujourd’hui « la Libanaise »). Certes, ce n’est pas sans hésitations ; mais grâce à la foi persévérante de cette maman, Jésus, vrai homme, fait tout un cheminement qui lui permet, pas à pas, d’évoluer, d’actualiser sa perception de la volonté du Père.

Et aujourd’hui il ouvre le Royaume aux personnes non pratiquantes ou non croyantes, étrangères aux Eglises ou aux spiritualités. Car la volonté de Dieu n’est pas statique, immuable, mais dynamique, en marche. 

Jésus, les eunuques et les exclus

Oui, Jésus valorise aussi les eunuques[37], exclus de l’assemblée[38]. Ainsi il accomplit et élargit les promesses d’Esaïe 56,5 à leur sujet : la Loi les excluait, mais – comme nous l’avons vu dans la 2e partie de ces notes – dans le Royaume promis qui s’est ouvert sur terre avec Jésus, Dieu leur donne « une place et un nom. » En hébreu : Yad Vashem, c’est-à-dire littéralement une main (euphémisme sémite pour dire un sexe) et un nom, c’est-à-dire une identité personnelle et surtout une famille, une descendance.

Et l’Etat d’Israël a donné ce nom de Yad Vashem au Mémorial de la Shoah à Jérusalem, pour exprimer sa foi en la survie et la multiplication du peuple juif.

Quelle application cette promesse pourrait-elle avoir aujourd’hui pour les personnes homosensibles, qui comme les eunuques risquent de ne pas avoir de descendance ?

Se sentir reconnu

Jésus mentionne d’abord ceux qui sont eunuques de naissance, puis ceux qui ont été castrés par les hommes, par une mutilation physique, ou par un abus sexuel ou affectif, voire spirituel, dont les séquelles les empêchent de vivre leur sexualité. Mais le regard positif qu’il porte sur eux vaut aussi pour les personnes homosensibles dont les souffrances et les privations sont si proches de celles des eunuques.

Ainsi Jésus reconnaît leur existence, leur différence, leur condition souvent dévalorisée, leur douleur de vie, accompagnée souvent d’un profond sentiment d’injustice. Et il « prend sur lui leur souffrance et leur manque »[39], il porte avec eux ce fardeau handicapant.

Exprimer sa sexualité ?

La promesse de Dieu de leur donner un sexe semble aussi leur donner la possibilité d’exprimer leur sexualité, – bien sûr de façon responsable et surtout dans l’amour, dans le respect et la tendresse pour leur partenaire. Car la première voire la seule condition que Dieu met à la pratique de la sexualité, c’est le consentement explicite. Le Christ ne cautionnerait jamais une sexualité imposée à l’autre par la force ou, pire encore, par une emprise affective ou spirituelle sur l’autre.

Ajoutons qu’aujourd’hui la science permet à un homme homosensible autant qu’à un hétérosensible de donner son sperme, par exemple pour une PMA (Procréation Médicalement Assistée), en vue de son propre couple ou comme donneur anonyme.

Jésus mentionne aussi ceux qui se sont volontairement « rendus eunuques, » c’est-à-dire qu’ils ont choisi de renoncer au mariage « à cause du Royaume. » Cette vocation particulière, qui reste un mystère pour les autres, ils sont appelés à l’accueillir avec tout leur être, souvent par un cheminement long et laborieux, à y « con-sentir » au sens premier du terme,  c’est-à-dire en demandant à Dieu de faire évoluer leurs sentiments pour qu’ils puissent chanter à l’unisson de son cœur.

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Une place pour chacun

Par son célibat choisi, Jésus s’est  fait solidaire de toutes les personnes homosensibles dans leurs difficultés et combats particuliers. Car elles ont souvent une sensibilité plus riche que d’autres (pensons à la sensibilité artistique de Michel-Ange), mais parfois avec la souffrance d’être méprisé pour sa différence (Tchaïkovsky…)

Quand Jean-Baptiste et Jésus proclamaient que le Royaume était proche[40], qu’il  s’était approché, cela ne signifiait pas qu’il allait venir, mais qu’en Christ ce Règne était tout près des gens, au milieu d’eux, qu’il avait déjà commencé. Il est déjà discrètement présent maintenant. Il ne viendra pas (futur), il vient (présent), sans frapper les regards.[41]

Le Christ aide chacune et chacun à faire de son homosensibilité une richesse, un cadeau à offrir à la société et à l’Eglise, qui à leur tour doivent le reconnaître et l’accueillir dignement, en leur inventant une place valorisante… Une place et un nom…

Et dans le Royaume eschatologique, appelé aussi la plénitude des temps[42] c’est-à-dire l’accomplissement ou l’aboutissement des temps,nous avons l’espérance que tous nous pourrons épanouir pleinement tout le potentiel qui nous habite.

Ethique et mariage pour tous

La Bible ne connaît pas de cérémonie spécifiquement religieuse pour le mariage, les Credo des Eglises non plus. Israël était une nation « théocratique » où le social et le religieux étaient intimement liés, voire identiques. Mais aujourd’hui en Occident, ce n’est plus le cas ; si la loi d’un pays institue un « mariage pour tous, » les Eglises ne peuvent qu’en prendre acte.

Nous comprenons que bien des croyants aient des réticences d’ordre éthique. Mais Jésus n’a jamais livré de combat éthique dans son pays. Il est venu changer le monde par le dedans, par un changement des cœurs, obtenu non par des moyens démocratiques même légaux, mais par l’impuissance de l’amour jusque sur la Croix[43].

         Mais PMA et GPA ne vont-elles pas à l’encontre des desseins et des lois de Dieu ?

La PMA (Procréation Médicalement Assistée) et la GPA (Gestation Pour Autrui – par une mère porteuse) sont aujourd’hui rendues possibles par la science, mais ne vont-elles pas à l’encontre du projet d’amour de Dieu ? A-t-on le droit de « forcer son destin » si Dieu n’a pas permis de transmettre la vie ?

Les « secondes chances » de Dieu

 Nous croyons que Dieu, aujourd’hui comme au temps de la Bible, peut guérir miraculeusement de toute maladie ou déficience, comme un signe qu’il lutte avec nous contre la souffrance.  ET nous croyons aussi qu’il peut guérir au travers de la science. Après tout, Luc était à la fois médecin ET écrivain inspiré, et Dieu a AUSSI créé le cerveau des médecins, chirurgiens, pharmaciens et autres merveilleuses créatures humaines (Ps 139,14) !

Ainsi, Dieu a guéri miraculeusement bien des femmes stériles (Sarah, Rébecca, Rachel, Elisabeth et tant d’autres) pour annuler la « malédiction »… qu’on Lui attribuait à Lui ! ET de même aujourd’hui, par la science, il peut donner à des couples biostériles une « seconde chance » de procréer. « Il donne à la femme stérile (ou au couple stérile) une maison pleine d’enfants, » Ps 113,9 !

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Adoption pour des couples de même sexe ?

Bien des personnes et des couples homosensibles donnent déjà beaucoup d’amour autour d’eux, créant ainsi une jolie « famille spirituelle ».

Dès lors, pourquoi refuser à des couples de même sexe, ou à des personnes homosensibles célibataires, la possibilité d’adopter des orphelins, sous prétexte que ces enfants auraient droit à un papa et une maman comme les autres ? La réalité terrestre dans laquelle nous vivons, et où Dieu nous rejoint, c’est que par notre refus ils risquent surtout de rester en orphelinat, sans papa ni maman … Une adoption représenterait donc pour eux un cadeau magnifique – qui de surcroît ne nous enlèverait rien à nous !

« Serions-nous jaloux (pour Moïse ou pour Dieu) de cet élargissement, comme Josué face aux deux hommes qui prophétisaient hors du cadre officiel du camp ? »[44] Ou pour nous-mêmes… alors que le Mariage pour Tous ne nous enlèverait aucun droit ?

Jésus, juste avant sa mort pourtant provisoire, a confié sa mère à Jean, son disciple sans doute célibataire, pour qu’il soit son soutien de famille : « Femme, voilà ton fils. Et toi, voilà ta mère ! »[45]

Dieu lui-même est un adoptant hors cadre !  «Père des orphelins et défenseur des veuves, il donne une famille aux abandonnés et du bonheur aux captifs délivrés ; les rebelles seuls restent dans la sécheresse… ! »[46]

Témoignage

Mon frère aîné, aujourd’hui décédé, avait reçu une vocation de missionnaire. Nous faisions nos études de théologie ensemble. Il est parti à l’étranger pour faire sa troisième année d’études. A son retour il nous a simplement annoncé qu’il quittait la théologie pour les Sciences Po, car sa vocation n’était pas d’être missionnaire mais ambassadeur. En réalité il vivait secrètement une profonde crise identitaire et spirituelle, mais il ne s’en est ouvert à personne, et a vécu cette longue souffrance dans une solitude complète.

Or ce que j’ai compris bien plus tard, c’est qu’à l’étranger il avait, très probablement, découvert son homosexualité. Il en avait déduit que son orientation sexuelle n’était pas compatible avec un ministère de pasteur ou de missionnaire, et, chose plus poignante encore, il s’était senti indigne de Dieu, rejeté. C’est pourquoi il n’a jamais remis les pieds dans une église, sauf à son enterrement : il est mort deux ans plus tard, à 25 ans, à cause d’un double défaut congénital au cœur. Mais ce n’est pas tout-à-fait la fin de l’histoire.

Le matin même de sa mort, il a demandé à ma mère : « Qu’est-ce que les rois-mages viennent faire dans ma chambre ? » L’infirmière a dit à ma mère : « Juste avant de mourir, les patients font parfois un délire. » Et sur le moment nous n’avons pas cherché plus loin.

Mais assez récemment, en me documentant sur les Expériences de Mort Imminentes, j’ai soudain compris le sens de cette « visite » ultime des ambassadeurs du ciel, venus le rassurer avant le « grand voyage » et l’escorter jusqu’au paradis, comme le font les anges pour le pauvre Lazare dans la parabole du mauvais riche et du pauvre à sa porte (Lc 16,19-31). Et comme mon frère avait toujours eu des goûts aristocratiques (avec sa première paie de son job de vacances il s’était acheté un smoking !), – Dieu avait eu la merveilleuse délicatesse de lui envoyer certains des plus nobles des habitants du ciel : les rois-mages !

Il a fallu plus de cinquante ans pour que je comprenne son douloureux parcours de vie et sa réhabilitation finale. Je peux dire maintenant avec fierté : « J’ai un frère homosexuel. »

Et j’ai rédigé cette petite étude sur les personnes homosensibles pour que personne, plus jamais, n’ait à vivre le même parcours que Jean-François.

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                     PRIÈRE POUR LES PERSONNES HOMOSENSIBLEs

                           (Sur la mélodie de la Prière de Francis Jammes,

                                 mise en musique par Georges Brassens)

1.        Par le petit garçon qui meurt près de sa mère   Tandis que des enfants s’amusent au parterre,

            Et par l’oiseau blessé qui ne sait pas comment   Son aile tout à coup s’ensanglante et descend,

            Par la soif et la faim et le délire ardent,   Je vous salue Marie !

(2)       Par les gosses battus par l’ivrogne qui rentre,   Par l’âne qui reçoit des coups de pied au ventre,

            Et par l’humiliation de l’innocent châtié,   Par la vierge vendue qu’on a déshabillée,

            Par le fils dont la mère a été insultée,     Je vous salue Marie !

(3)       Par la vieille qui, trébuchant sous trop de poids,  

            S’écrie : « Mon Dieu, » par le malheureux dont les bras

            Ne purent s’appuyer sur une amour humaine   Comme la croix du Christ sur Simon de Cyrène,

            Par le cheval tombé sous le chariot qu’il traîne,     Je vous salue Marie !

4.        Par les quatre horizons qui crucifient le monde,

            Par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe,

            Par ceux qui sont sans pieds, par ceux qui sont sans mains,

            Par le malade que l’on opère et qui geint,

            Et par le juste mis au rang des assassins,   Je vous salue Marie !

5.        Par la mère apprenant que son fils est guéri,   Par l’oiseau rappelant l’oiseau tombé du nid,

            Par l’herbe qui a soif et recueille l’ondée,     Par le baiser perdu, par l’amour redonné,

            Et par le mendiant retrouvant sa monnaie,   Je vous salue Marie !

(6)       Par Jésus votre Fils que vous donnez au monde    

            Pour qu’il vienne éclairer nos nuits les plus profondes                                             

            – Pauvre parmi les pauvres, en l’étable à Noël,  Solidaire de tous  pour que nos vies soient belles,            Il traversa nos morts pour nous ouvrir le ciel –      Je vous salue Marie !

7.      Ceux qui sont retenus   aux marges des Eglises

         Et ceux que les « élus »   superbement méprisent,

         Ceux qui, tout au début,   sont nés homosexuels,

         Ceux que, par des abus,   la vie a rendu tels,

         Sont-ils par là exclus   de nos cœurs et du ciel ?

                  C’est pour eux que je prie.

8.      Tous ceux que leur nature attire constamment

         Vers quelqu’un de leur sexe, irrésistiblement,

         Et ceux qui ont osé  changer d’identité

         En habillant leur cœur  d’un corps approprié

         Pour que chante leur vie  en authenticité…

                  Seigneur, bénis leurs vies !

9.      Couples d’hommes ou de femmes,   en vivant au grand jour,

         Que danse votre flamme   au soleil de l’amour !

         Si Dieu créa la vie  en ses mille couleurs,

         La joie de l’arc-en-ciel,   de la nature en fleurs,

         – Toute forme d’amour, Dieu seul en est l’Auteur !

                  Il est un DIEU DE VIE !

Paroles : Str. 1 à 5 Francis Jammes. Str. 6 à 9 Chr. Glardon 2021.                   Musique : Georges Brassens

.Source : A l’origine des premières strophes, Francis Jammes a écrit un poème de 5 méditations sur la Passion, qu’il appelait L’Agonie ; La Flagellation ; Le Portement de Croix ; La Crucifixion ; La Résurrection.


[1] Déjà le mot hébreu traduit par Dieu, Elohim, est un pluriel, littéralement Dieux !

[2] Le Père et le Fils sont masculins dans toutes les langues, mais l’Esprit est féminin en hébreu dans l’Ancien Testament et neutre en grec dans le Nouveau Testament… Contrairement à la mythologie grecque qui projette sur les dieux principaux, Zeus et son épouse Héra, l’image d’un couple humain sexué, et qui présente des dieux en constante rivalité, –  la Bible suggère d’emblée le mystère de la Trinité (une Tri-Unité) : trois Personnes divines vivant dans une telle communion d’amour qu’ils sont une Unité…

A mon avis il n’est donc pas possible de déduire du récit symbolique de la Création que l’image de Dieu est un couple d’un homme et d’une femme. L’image de Dieu serait plutôt l’amour-agapè, l’amour spirituel (qui peut inclure la sexualité mais ne s’y limite pas), l’amour comme don de soi qui unit la Trinité, et qui unit aussi Dieu à l’humanité  et le Christ à l’Eglise (Eph 5,29-31), – et par conséquent aussi l’homme et la femme.

Voir dans notre 3e partie Genèse 1 et 2, et Matthieu 19.

[3] Dietrich Bonhoeffer, Ethique, Labor et Fides, p. 1. Genève 1949. Cité par Anne Lécu dans Naître à la miséricorde, Ed. du Cerf 2017.

[4]  Titre d’une étude approfondie de Lytta Basset, Ed. Albin Michel.

[5] Le Livre de la Sagesse (ici 11,23-26) est un livre juif du 1er siècle avant J-C. Il est classé parmi les écrits « deutérocanoniques » parce qu’il a été écrit en grec, alors que le canon juif ne reconnaissait que les textes rédigés en hébreu.

[6] Voir Thomas Römer et Loïc Bonjour : « L’homosexualité dans le Proche-Orient ancien » Ed. Labor et Fides. L’une de leurs conclusions est que la Bible ne peut être utilisée ni pour condamner ni pour cautionner l’homosexualité.

[7] Amnesty International parle maintenant de personnes LGBTIQA+ : Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transgenres, Intersexes, Queer, Asexuées (sans attirance pour la sexualité) et autres.

[8] Dans le contexte du Lévitique (18,26 etc.) cette expression s’applique à la prostitution sacrée des religions païennes autour d’Israël. Nous le verrons dans la 3e partie.

[9] Psaume 34,19).  

[10] Esaïe 57,15.

[11] Luc 15,1-2.

[12] Luc 4,18-19.

[13] Luc 7, 36-50 offre un autre exemple de l’amour sincère que Jésus donne et reçoit là où on ne l’aurait pas forcément attendu :

Un jour qu’il mange dans la maison de Simon le Pharisien, une « pécheresse » vient oindre ses pieds de parfum (un historien me disait qu’à l’époque du Christ c’était un symbole couramment offert par une prostituée à l’arrivée d’un client pour la nuit, comme un simulacre de mariage…) ; puis elle embrasse les pieds de Jésus, les baigne de ses larmes et les essuie avec sa chevelure dénouée.

Or Jésus voit, au-delà de l’ambiguïté apparente de ces gestes, l’amour pur et sincère de cette femme, et déclare à son hôte au cœur sec, visiblement choqué par la scène, que « à elle, ses nombreux péchés lui sont pardonnés parce qu’elle a beaucoup aimé ! »13 Le texte prend soin de rapporter aussi les reproches adressés par Jésus à Simon : « Tu ne m’as pas embrassé à mon arrivée, tu ne m’as offert ni bassine d’eau pour baigner mes pieds, ni huile parfumée pour ma tête. »  On peut sentir combien Jésus a apprécié ce moment de tendresse, lui qui était vrai homme, donc aussi en contact avec ses besoins affectifs – et avec les nôtres.

 

[14] Jean 8,1-11

[15] Seules exceptions, apparentes : l’officier romain déclare « Je ne suis pas digne que tu entres chez moi » parce qu’il était étranger au peuple juif ! ; le publicain prie : « Sois apaisé envers moi qui suis un pécheur »  parce que, percepteur d’impôts au service de l’occupant romain, sa présence dans le Temple était illégale ! ; et le fils prodigue s’accuse lui-même : « J’ai péché » – mais son père l’interrompt ! Luc 7,6-7 ; 18,13 ; 15,21.

[16] Jn 21,15-17

16 Jean 1,29. Le même verbe grec signifie à la fois porter et ôter.

[18] 2 Co 5,17

[19] Le mot hébreu yad signifie premièrement la main, mais c’est aussi un euphémisme pour désigner le sexe. Voir l’histoire d’Absalom qui de son vivant, parce qu’il n’avait pas de fils pour perpétuer son nom, s’était fait ériger une colonne : après sa mort on l’appelait « le sexe d’Absalom, » 2 Sam 18,18.

[20]  1 Tm 1,18 ; 6,12.

[21] Mt 25,31-46.

[22] V. 44-45. Voir aussi Mt 21,31 : « Publicains et prostituées vous devancent (et non vous devanceront !) dans le Royaume de Dieu. »

[23] Gn 22,1-13

[24] Lv 1,2 ; 2,1 ; 2,14 « Si tu fais une offrande… » ; 3,1 « Lorsque… »

[25] Lv 16,10.

[26] Ps 51,18-21 d’après l’hébreu, dans « Ces Psaumes qui nous font vivre, » Th. Glardon, Ed Ouverture ; et Rm 12,1-2.

[27] Le lien entre ish et ishshah (avec redoublement de la consonne médiane shin) est un jeu de mots, une assonance, et non une étymologie linguistique : Ishshah est une contraction de in-shah et vient d’une autre racine, enosh, qui désigne aussi l’humain.

[28] Ga 3,17.

[29] Gn 19,7-9.

[30] Luc 10,12-15 ; Jn 1,45.

[31] Ac 15,10-11, mentionné au début de cette étude.

[32] Ed. Labor et Fides 2019.

[33] Ed. Olivétan 2021.

[34] Jn 1,18.

[35] Luc 4,18

[36] Mt 15,21-28.

[37] Mt l9,3-12, déjà commenté dans la 2e partie de cette étude.

[38] Dt 23,1.

[39] Esaïe 53,4.10

[40] Mt 3,2 ; 4,17 : « Le Royaume de Dieu est proche, (il est là, au milieu de vous !) Vous pouvez donc revenir à Dieu ! » (C’est là le sens profond du verbe généralement traduit par « Repentez-vous, » en hébreu et en araméen la langue de Jésus shouv, dans le grec du Nouveau Testament métanoéïté, « changez intérieurement ! »)

[41]  Luc 17,20.

[42] Eph 1,10

[43]   Voir plus haut « Jésus et les lois civiles ».

[44]   Nb 11,29.

[45] Jn 19,26-27.

[46] Ps 68,6-7.

Image mise en avant : by Karina Carvalho on Unsplash